Solidarité avant tout

Pour édifier sur le concept de solidarité, nous devons d’abord obtenir une meilleure vision des problèmes qui sont au cœur de nos communautés.

Dans un premier temps, nous devrions revenir sur notre passé et notre histoire.
C’est bien de là que notre traumatisme historique a été créé à partir de l’époque coloniale, quand nous étions des biens meubles, des êtres serviles.

C’est à ce moment que l’imposition de notre condition d’opprimés, s’est emparée de notre destin pour devenir notre existence.
Le modèle de conduite nécessaire à notre survie s’est constitué de génération en génération pour devenir partie intégrante de notre subconscient collectif.
Le traumatisme est à l’ origine d’une mutation évolutive forcée, d’autant plus inconsciente.
Cette blessure psychologique s’est gravée dans nos os, a réécrit nos gènes dans une tentative d’adaptation émotionnelle et physique.

De nos jours, plus personne ne questionne la manière dont nous avons survécu ou notre origine.
La majorité a oublié ou a envie d’oublier ce que nous avons laissé derrière nous. On veut éviter à tout prix les interrogations faisant référence au traumatisme transgénérationnel ou à notre héritage épigénétique.
Aujourd’hui, nous nous pensons maîtres d’une vérité absolue.

Pour construire depuis la solidarité dans le contexte Afro-Caribéen, nous devrions commencer par un préambule. Il nous faut comprendre pourquoi nous pensons de la sorte, les bases et les raisons qui sont à l’origine de nos modèles de comportements.

Afin de garantir notre survie nous avons dû nous sectionner de nos émotions, du bouleversement qui était notre destin, de qui nous étions avant l’apparition de la cruauté. Le seul moyen pour rester en vie était d’acquérir une résistance ou force exceptionnelle, d’évoluer pour devenir en quelque sorte surhumains, un phénomène qui à son tour est devenu l’essence même de notre résilience.

« Résistance silencieuse »

Ces mesures extraordinaires ont changé qui nous étions et nous continuons à nous comporter de manière similaire comme si le stimuli de la plantation était encore réel aujourd’hui.
Ces mesures sont encore présentes dans notre esprit, dans l’image de soi que nous avons construite de nous-mêmes. Elles sont encore présentes dans la nature de nos relations interpersonnelles, dans la composition de nos sociétés. Dans notre adaptation face à l’adversité, ne nous permettant aucune faiblesse, n’ayant aucune pitié pour nos vulnérabilités qui sont le reflet de notre humanité. Finalement de l’extraordinaire elles sont devenues tradition. Avec le temps la perpétuation collective est devenue la norme, la mentalité; pour devenir un trait socioculturel.

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« Au début, nous n’étions que des êtres humains, il ne s’agissait que de vivre notre existence…
Puis nous avons cessé d’être Africains.
Et la Blanchitude nous a totalement submergés.
Blanchis pour exister. »

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Nous avons cédé sous la pression de la violence que la plantation a semée en nous. Reproduisant entre nous, les mêmes jeux de rôle auxquels nous avions été soumis par notre environnement immédiat; oubliant complètement nos racines africaines, nos organisations sociales et valeurs familiales. Dans une tentative plus qu’humaine, d’interpréter ou d’imiter le modèle de monde qui nous entourait. Un monde où notre humanité ne pouvait assumer son destin de victime, d’opprimé ou de vaincu.
Nous avons intériorisé ce que nous avions souffert, en créant un nouvel ordre social, reproduisant la domination dans nos relations de pouvoir, adoptant la naturalisation de la violence symbolique comme si elle nous appartenait.

La violence construite socialement détermine également les limites dans lesquelles, il est possible de percevoir et de raisonner tout en conservant des schémas de pensées, attitudes et comportements construits sur la haine raciale et de cast ; sur l’absence d’une identité ethnique claire. Des comportements fondés sur la loi du plus fort par tous les moyens possibles si nécessaire . La concurrence et trahison sans fin, le paradigme vertical qui dicte l’agressivité constante, d’être l’éternel attaquant pour ne jamais être vaincu; et surtout ne rien attendre de mieux de nos semblables.
Cette violence symbolique est aussi érigée sur une opposition hostile entre hommes et femmes, structurée sur le ressentiment et l’abandon, le manque d’affection et de soutien; la crainte et la méfiance ainsi que sur la violence domestique, la domination et manipulation sexuelles.
Les murs qui existent entre nous ont été constitués autrefois, nous avons entretenu leur pertinence, leur existence jusque de nos jours.

La plupart des personnalités qui nous symbolisent sont des stéréotypes qui ont été créés artificiellement pour ensuite devenir nos stigmates contemporains.
Nous avons décidé de les incarner et d’y croire comme s’ils existaient uniquement dans notre nature profonde en plus de spécifiques à nos communautés.
Comme si nous étions prédéterminés à l’acceptation de la condition d’altérité.

«Il est impossible de parler de l’histoire unique sans parler de pouvoir. Le pouvoir est la capacité non seulement de raconter l’histoire d’une autre personne, mais aussi d’en faire l’histoire définitive de cette personne.
L’histoire unique créée des stéréotypes, et le problème avec les stéréotypes n’est pas qu’ils sont faux, mais qu’ils sont incomplets. Ils font que cette histoire devient la seule histoire possible.
La conséquence de l’histoire unique est la suivante: elle prive les gens de leur dignité, elle rend difficile la reconnaissance de notre humanité égalitaire. C’est mettre l’accent sur notre différence plutôt que sur notre ressemblance. »

-Chimamanda Ngozi Adichie-

L’émergence de la complexité de la psyché de la Femme Noire est une conséquence adaptative pour surmonter sa condition de racisée, pour assumer les difficultés de son existence et de son oppression caractéristique.
Dès la petite enfance, on exerce une réappropriation du modèle historique. Le seul chemin à suivre pour avancer vers la maturité est de devenir en quelque sorte indestructible, pour pouvoir survivre à l’insupportable; à la vulnérabilité que confère la douleur ou la détresse psychologique.Ces signes de faiblesses ne sont pas facilement tolérés ou exprimés.
En tant que femmes, nous sommes prises au piège entre ce qui est devenu une conviction féroce dans nos familles et communautés et ce que le monde voit et imagine encore de la représentation de notre corps, à savoir un sous-produit humain ayant une valeur commerciale à exploiter…

Les différents syndromes de la Femme Noire en colère, l’indestructible mère Noire et la Jezebel, sont des archétypes devenus torture et agonie pour les femmes Noires de tous bords. Aucune place n’est faite pour l’existence d’autres représentations, pour explorer plus en profondeur l’essence de leur féminité …
Dans l’ensemble des Diasporas mondiales la résilience de la Femme Noire est un inévitable syndrome universel, c’est une réalité occulte que personne ne veut reconnaître pour elle ou l’ensemble de la communauté.
En tant que femmes, nous sommes l’épine dorsale de la famille, nous sommes notre passé, notre présent et notre avenir à travers les vies que nous avons portées corps et âme. Par nos comportements nous façonnons la communauté. Nous portons la plus lourde charge et pour faire face à notre réalité surréaliste par son intensité et son traumatisme, la conversation doit être abordée.
Cela doit être une priorité, car les plaies ouvertes ne disparaissent pas avec le temps, elles renaissent et se retrouvent dans nos enfants, altèrent notre santé et deviennent symptomatiques de notre communauté, la perception d’une réalité unique pour tous …

En tant que groupes minoritaires ou considérés en marge, on nous inculque que le mutisme est d’or, qu’il ne faut pas faire de spectacle public de nos problèmes qui ne feraient que distraire la majorité oppressive, pour éviter d’autant plus toute humiliation inutile, car cela serait perçu comme une victimisation. En ajoutant à cela que nous perdrions le respect de nos aînés, qui eux ont résisté en silence tout en gardant la tête haute.

Nous ne serons pas prêts à nous émanciper de notre passé pour accéder au privilège du libre arbitre et décider dans quelle direction nous diriger tant que nous ne prendrons pas conscience du fait que nous réagissons encore aujourd’hui pré-déterminés par une situation forcée et imposée…

«Si on enseignait à toutes les filles»

Une voie à suivre serait de développer la notion de sororité depuis l’enfance. Qu’elle devienne partie intégrante de notre éducation, de notre langage émotionnel et de notre identité.
Il nous faut comprendre et analyser nos structures familiales, redéfinir la relation avec nos mères et mettre fin au cycle de l’aliénation intergénérationnelle.
Les mères qui sont notre première figure affective et référence pour déterminer une définition des relations entre femmes; de plus elles font également office de dictionnaire émotionnel, premier manuel à déchiffrer, à émuler.

«Nous devons étudier la façon d’être tendres les unes envers les autres jusqu’à ce que cela devienne une habitude.
Parce que ce qui était inné nous a été volé: l’amour des femmes noires les unes pour les autres. »

-Audre Lorde-

La sororité signifie confiance, reconnaissance et soutien, la création d’un havre de paix qui n’existerait que pour nous. Se traiter mutuellement avec empathie et bienveillance dans des circonstances défavorables lorsque la famille, les hommes et la société ne nous enseignent pas l’acceptation de soi ou l’amour.

C’est un acte politique de résistance, de se recentrer sur l’essentiel avant de se confronter au monde. C’est en apprendre davantage sur notre nature incroyable, notre âme et notre beauté intérieure, ne plus se battre pour se conformer aux normes établies ou contenter tous les autres.

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«Nous devons étudier la façon d’être tendres les unes envers les autres jusqu’à ce que cela devienne une habitude.
Parce que ce qui était inné nous a été volé: l’amour des femmes noires les unes pour les autres. »

-Audre Lorde-

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«Je fais partie d’un plus grand ensemble.
Entre histoires de vies et destins communs.»

Nos histoires individuelles doivent être partagées pour que nous puissions nous connaître et nous apprécier, notre nature émotionnelle doit définir et être au centre de nos relations entre femmes.
Il s’agit d’établir l’intimité, d’instaurer une certaine familiarité grâce à nos expériences similaires du monde. Se donner la main en quête d’un soutien moral, de réconfort afin d’échapper au fardeau et à l’isolement de notre existence Noire.
En unissant nos réalités individuelles, nous pouvons cartographier avec précision nos défis communs, les étudier, concevoir des stratégies et trouver la force nécessaire pour les surmonter.
C’est incroyablement transformateur de s’apercevoir dans le reflet des autres, de s’exprimer et d’entendre parler de notre expérience collective, d’acquérir une compréhension commune de notre existence de femme racisée.
Une nouvelle compréhension ou conscience, essentielle à notre évolution, à notre guérison psychologique et émotionnelle ainsi qu’à notre bien-être physique.
Un désir collectif d’émancipation, c’est aussi une quête individuelle en devenir, pour se libérer de sa condition oppressive.

«J’appartiens à un phénotype et à une culture déterminée.
Mais je ne suis pas tous les Noirs ou toutes personnes racisées.
L’individualité de mon âme composée de mélanine est unique…
Même si je porte en moi mes ancêtres, ma communauté et mon histoire familiale.»

Sensibiliser sur ces questions devrait être pour nous, femmes d’ascendance Africaine, aussi essentiel que l’air que nous respirons.
La sororité est un point incontournable, un élément constitutif pour atteindre les pleins pouvoirs de notre autonomie et de notre féminité.

«C’est à nous de nous lancer des défis et de nous affirmer.»

Il s’agit de libérer nos âmes et nos destinées de nos comportements aliénés, en revenant au commencement, en faisant la paix avec nous-mêmes.
Il nous faut de nouveau reprendre confiance et nous fier de nous-mêmes, de ce que nous étions et ce que nous pourrions devenir.
Il s’agit de décoloniser notre guérison, d’une reconstruction personnelle.
D’un self-care communautaire intégral ou holistique, devenir autonome dans notre prise en charge physique et émotionnelle.
Il s’agit d’une nouvelle destination sur la voie de la résilience.

Aucun être humain, comme créature sociale et culturelle, ne peut survivre ou lutter seul, étant membre d’un groupe sans coexister ou collaborer.

Soyons les voix de celles qui étaient notre passé, celles qui sont notre présent et qui restent enfermées dans le mutisme. Soyons la réponse, la solution pour nos mères et nos grands-mères, nos soeurs, nos filles et nos voisines. Soyons le confort et la sécurité que confèrent les tribus matriarcales en essence, l’image nécessaire dans le miroir pour se reconnaître et se retrouver dans le reflet des nôtres.

«Pour nous élever, nous devons trouver notre union comme un seul peuple.»

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Ubuntu

«L’humanité se trouve à travers l’interdépendance, dans l’engagement collectif et dans le service aux autres»

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November Issue

Cet article a été traduit de l’Anglais, écrit depuis une perspective Afro-Caribéenne, avec une vision Afropéenne et des influences et représentations culturelles Africaines et Afro-Américaines.

Lectures complémentaires et références

Post Traumatic Slave Syndrome. 2005
Dr Joy DeGruy.

Peau Noire, Masques Blancs.1952
Frantz Fanon.

Soucouyant. 2007
David Chariandy.

https://www.ted.com/

Pluie et vent sur Télumée Miracle.1972
Simone Scharwz-Bart.

Blues et le Féminisme Noir.1998
Angela Davis.

Référence en Anglais

The Future of Healing: Shifting From Trauma Informed Care to Healing Centered Engagement.
Shawn Ginwright Ph.D.

https://medium.com/@ginwright

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